Chiara Alfieri

Anthropologue de la santé et chercheuse au Laboratoire population environnement développement (LPED) dans le cadre du programme ANR Comescov, Chiara Alfieri est aussi membre du Réseau des épidémies émergentes (RAEE) et de la Sonar-Global. Ses travaux actuels portent sur les expériences sociales des mesures sanitaires pour endiguer l’épidémie de Covid-19 en Italie (Lombardie) et sur l’accès aux soins des mères séropositives au VIH/sida, au Burkina Faso.

Écouter la vignette ethnographique de Chiara Alfieri dans le cadre du programme CoMeSCov : Le traitement des objets et des corps en pleine pandémie de Covid-19 à l’Hôpital de réhabilitation de Milan, le 2 mai 2020. Rencontre avec Sandra, Kinésithérapeute. Chiara Alfieri, 6’48

Mon expérience du confinement

« Durant le confinement, fin mars, j’ai commencé les entretiens pour Comescov. Une page Facebook, « NOI DENUNCEREMO verità e giustizia per le vittime del Covid-19 », attire mon attention : des parents de victimes du Covid – pour la plupart de Bergame – y écrivent les histoires de leurs proches décédés.

Cet espace virtuel permet aux personnes affectées par ces décès de relater le vécu de ces évènements survenus à l’hôpital, dans les Ehpad ou à la maison. Il s’agissait de douloureux récits intimes, qui avaient la force et la pureté cristalline d’un diamant brut : on pouvait se blesser facilement en les manipulant et ils paraissaient renvoyer comme à une autre nature de l’épidémie.

J’ai, alors, commencé à réaliser des entretiens en visioconférence avec certains d’entre eux. Une méthodologie d’enquête différente de celle que j’ai toujours pratiquée et qui m’a mise face à une situation de participation, pour moi inédite. Je me souviens de ces entretiens comme d’un flux ininterrompu d’événements, où toute la distance et neutralité de la recherche cédait la place à une écoute émotionnellement très forte à expérimenter. Mais, au-delà des mots, il y avait un mélange d’étonnement, de désespoir, de déception et de rage dans leurs yeux, qui passait à travers les écrans et que je ne pourrai jamais oublier. Qu’est-ce qu’on peut demander à des personnes dont la vie a déraillé de manière soudaine en les laissant tout à coup sans un proche à pleurer et à enterrer ?

La pandémie, face à des structures sanitaires insuffisantes et obsolètes, ainsi qu’à un plan épidémique dépassé et jamais renouvelé depuis, a non seulement privé les individus de leurs êtres chers, mais a aussi opéré un détournement de tous les autres piliers sur lesquels se construisent habituellement l’existence en société : l’État, l’Église et les médecins de famille avaient disparu. C’est également toutes les relations familiales et sociales qui ont été fortement altérées. Qu’est-ce qu’un anthropologue face à la douleur et à l’écrasement des certitudes ? »