Rôle de l’anthropologie dans les expériences sociales des mesures face à la pandémie

En cas de crise sanitaire, c’est d’abord vers les sciences biologiques et médicales que les regards se tournent. On leur demande explications et réponses. Pourtant, les épidémies ne sont pas seulement un « problème sanitaire » et les sciences sociales jouent un rôle tout aussi important dans l’analyse, la compréhension et la réponse à l’évènement.

En documentant et analysant les expériences sociales, c’est-à-dire la manière dont les populations perçoivent les mesures sanitaires prises face à la Covid-19 (confinement, distanciation, protection…), les chercheur.e.s en sciences sociales du programme « Confinement et mesures sanitaires visant à limiter la transmission du Covid 19 » (CoMeSCov) proposent une approche transdisciplinaire, dans trois pays (en France, en Italie et aux USA), pour comprendre la vie sociale des recommandations, les pratiques quotidiennes, mais aussi les adaptations, et ce pour différents acteurs : soignants, aidants institutionnels ou citoyens, personnes vulnérables, accompagnants de fin de vie, professionnels des soins mortuaires… Dès janvier 2020, ces chercheur.e.s se mobilisent pour construire un programme au plus près des acteurs sociaux dans une logique participative. Les données proviennent de journaux de terrain, d’observations, d’entretiens, d’une recension de documents et d’articles de presse.

La démarche anthropologique repose sur une approche compréhensive des acteurs sociaux. En opérant un décentrement, elle inscrit les gestes et pratiques liés à l’épidémie dans des contextes sociaux plus larges et dans la vie ordinaire des personnes. L’anthropologie observe ainsi les pratiques qui peuvent être considérées comme « irrationnelles », en montrant dans quelles logiques, locales ou globales, elles prennent sens. Elle vise également à rendre perceptibles et audibles les points de vue, experts ou profanes, visibles ou invisibles, sur le sens et la dynamique de l’épidémie.

Ces évènements sont révélateurs de failles préexistantes dans les sociétés. Les vulnérabilités d’exposition sont articulées à des dynamiques et inégalités sociales. Il est donc important d’observer les facteurs et processus aboutissant à ces inégalités : le risque sanitaire s’inscrit dans une hiérarchie, parmi d’autres risques (sociaux, économiques, symboliques…) entre lesquels les personnes doivent arbitrer dans un contexte donné.

Par ailleurs, les sciences sociales envisagent les réponses aux épidémies, leur traitement social, comme des objets de recherche en soi. Les changements déroutants et rapides de consignes sanitaires depuis février 2020 imposent de focaliser aussi l’attention sur la temporalité de la vie sociale des mesures, de les comprendre dans l’instant et la durée. L’intégration à l’équipe d’une historienne des épidémies en atteste.

L’anthropologue peut aussi être médiateur en temps d’épidémie : la perspective coconstruite avec les soignants de l’Hôpital européen (Marseille) sur la question de la gestion de la mort l’illustre de manière exemplaire.

Les analyses en cours puisent dans l’anthropologie médicale, l’analyse politique des questions de santé et l’histoire des épidémies. Elles s’appuient également sur les connaissances acquises lors d’autres crises, comme Ebola, le sida ou le paludisme. Ceci explique qu’en lien étroit avec le Réseau anthropologie des épidémies émergentes (RAEE), les chercheur.e.s aient pu construire plus rapidement une recherche dans ce contexte d’urgence.

Page CoMeSCov du site du RAEE

Page CoMeSCov du site du LPED

Page CoMeSCov du site du CNE

Écouter les vignettes ethnographiques de deux anthropologues de la santé du programme CoMeSCov :

Pour aller plus loin

  • « Mourning while fighting for justice: The first months of the NOI DENUNCEREMO association, Bergamo, Italy »

    Chiara Alfieri, Alice Desclaux, Kelley Sams, Marc Egrot, Firmin Kra, et al., Somatosphère : Science, Medicine, and Anthropology, 2020.
  • « L’anthropologie impliquée à l’hôpital en contexte d’épidémie de Covid-19 pour accompagner les fins de vie et les décès hospitaliers »

    Firmin Kra, Bernard Taverne, Francesca Mininel, Francis Akindès, Gabrièle Laborde-Balen et Marc Egrot, The Conversation. - 14/09/2020
  • « L’anthropologie impliquée à l’hôpital en contexte d’épidémie de Covid-19 »

    Firmin Kra, Marc Egrot, Francesca Mininel, Francis Akindes, Bernard Taverne, Gabrièle Laborde Balen, Amélie Guillet et Julienne Anoko [Note stratégique] Réseau Anthropologie des épidémies émergentes. Août 2020.
  • « Funeral rites and Covid-19: what must be done to respect tradition and keep people safe »

    Bernard Taverne, Firmin Kra, Francis Akindès, Gabrielle Laborde-balen, Khoudia Sow, Marc Egrot, The Conversation. - 07/07/2020
  • Research perspective: « Containment and health measures to limit COVID-19 transmission: Social experiences in France, Italy and the USA in the time of a pandemic »

    Kelley Sams, in Allied Health, Environment, and Development Research Network (AHEAD) Newsletter, Issue 2, June 2020 | SPECIAL ISSUE COVID-19
  • « Comment réinventer les rites funéraires en temps de Covid-19 ? »

    Bernard Taverne, Firmin Kra, Francis Akindès, Gabrielle Laborde-balen, Khoudia Sow, Marc Egrot - 13/05/2020
  • « Covid-19, les sciences sociales dans la bataille »

    Alice Desclaux, Marc Egrot, et Julie Coquart, IRDLeMag - 30/03/2020
  • « Accompagner les mourants et enterrer dignement en temps de Covid-19 : anticiper les mesures sanitaires en Afrique » [Note stratégique]

    Bernard Taverne, Firmin Kra, Francis Akindès, Gabrièle Laborde-Balen, et Marc Egrot, Réseau Anthropologie des épidémies émergentes. 2020.
  • « Patients négligés, effets imprévus. L’expérience des cas suspects de maladie à virus Ebola »

    Alice Desclaux, Magne Sandrine Malan, Marc Egrot, Francis Akindès, Khoudia Sow, Santé Publique, Société Française de Santé Publique, 2018, 30 (4), pp.565.