Pouvoir et vouloir savoir en période d’incertitude. La dynamique d’une pandémie

Que pouvons-nous et que voulons-nous savoir en période d’incertitude radicale, comme celle que nous traversons avec la crise du Covid-19 ? Un groupe de chercheur·es interdisciplinaires a construit un nouvel indicateur qui mesure en temps réel accélérations et décélérations de la pandémie Covid-19 dans les départements français. Le but : évaluer la dynamique de la pandémie et éclairer la décision publique.

La crise du Covid-19 nous a rappelé l’incertitude à laquelle nous sommes confrontés dans nos vies. Même si nous en savons maintenant beaucoup plus sur la maladie du Covid-19 en tant que telle, nous sommes toujours incapables d’avoir la maîtrise sur le contrôle de la pandémie et les hommes et femmes politiques imposent des mesures pour tenter de freiner la propagation de la pandémie : fonctionnent-elles ?

Comment prendre des décisions face à des situations nouvelles et impossible à prédire ? Qu’est-ce que cela veut dire d’agir et prendre des décisions en incertitude dite radicale ? Deux grandes questions émergent : 1) Que pouvons-nous savoir ? 2) Que voulons-nous savoir en fonction des données et informations disponibles ?

Quel choix opérer pour essayer de contenir au plus vite la propagation du virus sans devoir élaborer un modèle qui repose nécessairement sur des hypothèses difficilement vérifiables ? C’est cette question, au cœur de la décision publique, qu’éclairent un groupe de chercheur·es en proposant un nouvel indicateur pour suivre la dynamique du Covid-19 en temps réel.

Le projet consiste à connaître et évaluer la dynamique de la pandémie. Est-ce que la diffusion du virus s’accélère, décélère ? Quel outil permettrait d’apprécier les accélérations et décélérations, et plus précisément l’accélération ou la décélération des dommages (ce qui devrait être l’objectif de toute politique de santé publique sérieuse) ?

Les chercheur·es proposent d’étudier le nombre cumulé de cas positifs par rapport au nombre de tests cumulés. Si, avec un nombre croissant de tests, on trouve toujours plus de cas positifs alors la pandémie s’accélère. Si, au contraire, on trouve de moins en moins de cas positifs, alors la pandémie décélère.

Cet indicateur devient d’autant plus utile qu’il est possible d’évaluer la dynamique de la pandémie un peu plus finement : à l’échelle régionale/locale ou par classe d’âge. L’avantage de ces comparaisons est de savoir où ou dans quel groupe le virus est éventuellement sous contrôle et où ou dans quel groupe il se diffuse plus largement. Cela permet d’intervenir plus spécifiquement, de tester davantage et de mettre en quarantaine les personnes infectées et ainsi de limiter les transmissions ultérieures.

L’idée qui a conduit au développement d’un tel indicateur vient de recherches plus fondamentales que les chercheur·es menaient depuis deux ans sur le comportement animal et humain face à l’incertitude radicale. Pour cela, les chercheur·es ont répliqué l’incertitude en laboratoire, dans un cadre expérimental avec des rats et des humains. Les sujets de l’expérience ont été exposés à différentes situations inconnues et imprévisibles avec différents gains et pertes. Les chercheurs ont observé la réaction et mesuré la sensibilité des sujets à l’accélération ou à la décélération d’un bénéfice ou d’un préjudice. En cas de sensibilité avérée, ils ont étudié si les sujets adoptaient un modèle de comportement qui correspond à « l’anti-fragilité », c’est-à-dire qui s’améliore sous l’effet d’un choc ou du stress.

Un comportement anti-fragile signifie l’ouverture à des avantages rares et importants, mais limités contre des dommages rares et extrêmes. Être ouvert à des avantages rares et extrêmes peut impliquer de grandes innovations, découvertes et améliorations dans la vie. Être limité contre des dommages rares et extrêmes implique d’être protégé contre de grandes pertes matérielles, naturelles et humaines. Le comportement anti-fragile n’est pas le choix le plus rationnel et calculable au sens habituel de la théorie du choix rationnel (qui exigerait toutes les alternatives avec leurs réalisations probables objectives) mais une stratégie cognitive avec laquelle la survie à long terme est possible.

Dans la vidéo associée, le groupe de chercheur·es propose de visualiser l’évolution de ce nouvel indicateur qui mesure la dynamique de la pandémie à l’échelle départementale, depuis la fin du premier confinement jusqu’au 16 novembre 2020. « Ce que nous présentons ici est une carte de la France avec tous ses départements, dans laquelle nous montrons comment la pandémie s’est accélérée et décélérée au fil du temps depuis la fin du premier confinement jusqu’à présent. Plus la carte devient rouge foncé, plus la pandémie s’accélère rapidement, tandis que plus la couleur verte est foncée, plus elle décélère. L’avantage de savoir en temps réel où la pandémie s’accélère permet d’intervenir localement, de tester davantage et de mettre en quarantaine les personnes infectées et ainsi de limiter les transmissions ultérieures. »